Société

A Lomé, les fétiches ont leur marché

 

Le 10 novembre 2021, Cotonou, la capitale du Bénin vibrait au rythme du retour au pays de   26 œuvres d’art pillées par les troupes coloniales françaises après une longue procédure de restitution de la France. Les Cotonois, par centaines, bravant les risques liés à la pandémie, se sont regroupés pour célébrer à l’unisson, ce jour historique. La tradition africaine a été une fois de plus célébrée ces objets, plus mystiques qu’autre chose, sont enfin de retour chez eux. A moins de 200 kilomètre de là, au marché des fétiches de  Lomé, l’ambiance est tout au moins morose. Là, on y retrouve des fétiches qui sont à vendre. Avant, les blancs venaient  arracher les objets sacrés à coup de canons. Aujourd’hui, c’est à coup de billets. Encore que ce business est fortement menacé avec une pandémie qui refuse de s’en aller. Reportage, dans un marché, où, presque tout se vend. 

À Lomé, dans le quartier Akodessewa, banlieue Est de la ville, se trouve un marché pas comme les autres. Dans ce marché, l’on ne trouve ni denrées alimentaires, rien de ce qu’on peut trouver habituellement dans un marché normal. Mais plutôt, des crânes de différentes sortes d’animaux sauvages, des peaux de bête, des figurines, des plumes d’oiseaux, de petits fétiches sculptés et toutes sortes de choses censées être dotées de qualités magiques. Ces produits, étalés sur des comptoirs, n’attendent que les clients pour faire valoir leurs puissances magiques. C’est le « marché aux fétiches ». Si ce marché est connu pour la diversité de ses produits qu’on ne peut trouver que là, il est devenu ces dernières années plus un lieu touristique qu’un marché. Parce que c’est le seul endroit où l’on peut toucher du doigt la tradition vaudou et vivre certaines réalités africaines. Il est connu dans toute la sous-région ouest africaine, puisque, dit-on, c’est le seul marché de l’espace où l’on peut trouver des produits prescrits par les guérisseurs, les marabouts et les charlatans.

 

Ce qui frappe à l’entrée de ce marché, c’est bien évidemment l’odeur pestilentielle qui accueille. Mais, il va falloir jouer le jeu, au risque de passer pour le « perdu d’Afrique ». Il va falloir montrer patte blanche. Mais, l’on ne peut pas aller dans cet endroit sans questionner son histoire. Bien que le marché aux fétiches se trouve aujourd’hui au Togo, il a ses origines au Dahomey, actuelle République du Bénin. « Le marché se trouvait au Dahomey dans les années 1860. À cette époque, nous n’avions pas la médecine traditionnelle. Il y a juste certains féticheurs qui font la magie blanche que nous appelons « Bokonon ». Les « bokonons » sont des consulteurs, des voyants. Et après vous avoir consulté, il faut qu’ils vous prescrivent certains produits pour pouvoir vous guérir. Et dans le temps, ces produits sont très difficiles à trouver. C’est là que leur est venue l’idée d’un marché pour qu’après la consultation, les gens puissent trouver facilement les produits », a souligné M. Dako Assou Sourou, herboriste guérisseur traditionnel et l’un des guides du marché. Concernant le transfert au Togo, M. Sourou a précisé que le Togo et le Benin sont des frères, et en ce moment, il n’y avait pas de frontière. « Donc, nos grands-parents ont voulu installer le marché au Togo parce que beaucoup de Togolais venaient chez eux en ce moment à la recherche de ces produits. Ils se seraient installés définitivement en 1946. Progressivement, les clients ont afflué vers ici et à ce jour, le marché n’existe plus au Bénin. La preuve, ici, nous sommes tous Béninois».

Pour les clients, c’est le lieu idéal pour trouver satisfaction aux maladies que la médecine moderne n’arrive pas à traiter ou pour trouver les produits que les féticheurs leur ont prescrits. « Beaucoup de clients viennent ici après s’être fait traiter à l’hôpital et n’arrivant pas à trouver satisfaction auprès des médecins. Ceux-là viennent ici pour se faire consulter et traiter en même temps. Et je vous assure que beaucoup ont trouvé satisfaction chez nous. Pour d’autres, ils ont déjà consulté un féticheur ou un marabout quelque part et ils viennent pour s’acheter les produits qui leur ont été prescrits », confie un autre vendeur.

Au marché des fétiches, on est censé trouver solution à tous types de maladies : ulcère, hernie, asthme. Crâne de cheval pour les gens qui font du sport, pour qu’ils aient la force, crânes de chat contre la perte de mémoire, le caméléon pour la chance, l’os de chauve-souris pour guérir de la rage, de hibou pour conjurer un mauvais sort. « Tout ce que vous voyez là, ce sont des produits que nous utilisons pour les clients. Avant de les utiliser, il faut qu’on consulte la personne pour voir si sa maladie est d’ordre spirituelle ou pas. Selon ce que les fétiches ont dit, nous lui prescrivons ce qu’il doit acheter. Nous écrasons les crânes ou les autres produits en poudre avant de les utiliser. Vous voyez les chambres derrière les stands ? C’est là-bas que les produits se préparent avec des paroles incantatoires pour guérir le patient de ce qu’il souffre », ajoute le client ci-dessus.

Derrière les stands se trouvent de petites chambres pour la plupart construites en tôle. Interdiction d’y entrer si tu n’es pas un patient. Interdiction de prendre des photos ou de filmer à l’intérieur. C’est là que se trouvent les fétiches. C’est là que les féticheurs dialoguent avec les esprits, à l’abri des regards. C’est là que se font les consultations et la préparation des produits. Puisque, nous dit-on, « les fétiches ne doivent pas être exposés comme ça et toute oreille ne peut pas entendre les paroles incantatoires que nous prononçons pour réveiller les esprits et préparer les produits ».

« La plupart des clients viennent nous voir pour la protection. Parfois, nous préparons des bagues qu’ils mettent aux doigts ou des choses qu’ils doivent mettre dans la poche avant de sortir de la maison. D’autres souvent viennent pour des problèmes de terrain. Vous savez que les problèmes de terrain ne manquent pas dans nos pays. Souvent aussi, nous recevons des gens qui viennent pour des « dis-moi oui », c’est-à-dire pour rendre un homme ou une femme amoureux/se. Je reçois environ 5 à 10 personnes par jour, mais il faut le dire, le marché aux fétiches accueille plus de visiteurs que de clients », nous a confié M. Christian Guédénon, guérisseur, herboriste au marché des fétiches.

Plus un site touristique qu’un marché

Parti d’un simple marché, le marché aux fétiches est devenu progressivement un grand site touristique. Il n’est plus seulement connu dans la sous-région, mais aussi dans le monde entier parce qu’il reste encore un des lieux où les visiteurs ont l’occasion de toucher du doigt les pratiques vaudous et la tradition africaine qui fascinent tant les étrangers. Témoin de cette tradition vaudou, il attire des touristes du monde entier, surtout venant de l’Europe et des Etats-Unis.

Conscient de cette situation, le syndicat des vendeurs et guérisseurs du marché a pensé à réglementer cet aspect de la chose pour le développement du marché. Depuis quelques années, tout touriste doit s’acquitter d’un droit d’entrée de 3 000 FCFA. Ce qui donne droit à une visite guidée de tous les stands du marché et une somme de 2000 FCFA donnant droit à la prise de photo. Des prix qui sont visibles sur l’enseigne du marché devant l’entrée principale. « Sans vous mentir, nous recevons plus de touristes que de clients. Ces touristes viennent de partout. Des autres pays d’Afrique, même du Bénin d’où nous sommes originaires et beaucoup plus des pays européens et des Etats-Unis. C’est pourquoi nous avons pensé à ces tarifs pour pouvoir entretenir les lieux et mettre en place certains dispositifs pour le confort du touriste», a souligné l’un des guides du marché. Des guides capables de s’exprimer parfaitement en anglais, en français et en plusieurs langues locales du Bénin et du Togo.

Le marché aux fétiches est un véritable hôpital doté de pharmacie en plein air. « Les touristes restent, non seulement fascinés par tout ce qu’ils voient ici, c’est-à-dire les crânes de chimpanzé, les crânes de chevaux, des restes de reptiles, de chiens, de mangoustes, les figurines et tout ce qu’on peut en faire, mais aussi par le coté spirituel de la chose », a-t-il ajouté.

Selon Guedenon, guérisseur, pour certains touristes, l’occasion fait le larron. Et tout ce qu’on peut en faire, mais aussi par le coté spirituel de la chose. Ou s’ils ont un problème qui date dont ils n’arrivent pas à trouver solution, ils soumettent cela aux esprits. Pour la plupart, ce sont des amulettes de protection pour tous les voyages qu’ils auront à faire ou de porte-chance. « Dans le temps, nous recevions ici plus de 30 ou 40 touristes par jour, mais au fur et à mesure qu’on avance et avec l’arrivée de certaines restrictions de la part du gouvernement sans oublier la crise sanitaire due à la Covid-19, plus rien ne marche », a déploré M. Dako Assou Sourou, herboriste guérisseur traditionnel et un des guides du marché.

Les restrictions du gouvernement et l’effet Covid-19

La crise sanitaire due à la Covid-19 a eu un impact négatif sur tous les secteurs ; mais le secteur qui est le plus directement touché dans le monde entier est celui du tourisme. Le marché aux fétiches n’a pas été épargné par ce vent qui qui a balayé le secteur. Mais avant l’arrivée de la Covid-19, le marché aux fétiches rencontrait des difficultés dues à certaines restrictions imposées par l’Etat togolais par rapport à la vente des restes ou des peaux de certains animaux dans le marché. La réglementation gouvernementale en matière de braconnage. « À un moment donné, on a eu des problèmes avec le gouvernement togolais. Parce qu’il estime que nous vendons chez nous des restes provenant d’espèces protégées alors que rien de cela n’est vrai. Tous les crânes et les restes d’animaux que vous voyez là, proviennent des animaux morts de morts naturelles », confie un vendeur sur les lieux.

Les vendeurs assurent que ces carcasses ont été acquises en toute légalité et que les restes provenant d’espèces protégées, comme les défenses d’éléphant ou les peaux de lion – particulièrement onéreuses – ont été prélevées sur des animaux « morts de mort naturelle », nous a assuré M. Sourou. Et à M. Guédénon d’ajouter : « Certains mêmes vont jusqu’à dire que nous vendons au marché des fétiches des ossements humains juste parce qu’ils ont vu des os de certains animaux ressemblant aux ossements humains. Comment on peut exposer des ossements humains comme ça ? », se demande-t-il.

Les étalages n’étaient plus bien garnis comme avant. Pas un seul client, ni un touriste n’était à l’intérieur du marché le 5 octobre dernier, lors de notre visite. Les vendeurs étaient assis près des étalages, le regard pensif. Certains cabanons dans lesquels les guérisseurs restaient pour la consultation sont fermés. Oui, le marché n’est plus animé comme avant. La faute à cette réglementation du gouvernement, mais aussi à la Covid-19. « C’est pour ces restrictions que le gouvernement nous a imposées que nous avons dû retirer de nos étalages les restes et les peaux de certains animaux que les touristes admirent tant. Vous-même, vous voyez qu’il n’y a pratiquement plus rien sur les étalages. Je vous informe qu’avant la Covid-19, certains touristes qui ont fait un tour ici et qui étaient là auparavant, ont été déçus de ce qu’ils sont venus voir. Les étalages ne sont plus très attractifs », a regretté M. Sourou sous un regard triste qu’il ne parvenait pas à dissimuler.

« L’arrivée de la Covid-19 a encore empiré les choses. Si je vous dis que depuis mars que cette affaire a commencé, c’est donc tout dernièrement, la semaine passée, que nous avons accueilli certains touristes qui sont passés par le Bénin avant d’arriver ici. Je ne sais pas comment, eux, ils ont fait, mais ils étaient venus. Et aussi, malgré qu’on n’ait pas fermé les marchés en cette période de crise sanitaire au Togo, ici, nous avons été sommés de fermeture sous prétexte que nous manipulons les animaux sauvages et que cela pourrait être source de propagation du virus. Mais grâce à Dieu, on n’a pas été fermé, mais nous respectons avec rigueur les mesures barrières édictées par le gouvernement, comme vous l’avez constaté à l’entrée », a-t-il poursuivi.

L’ensemble des revendeurs et guérisseurs du marché espèrent vivement que cette crise passerait même si elle parait longue et que le marché retrouve son affluence d’avant Covid-19. À l’endroit du gouvernement, ils demandent des accompagnements pour l’entretien et la rénovation du marché afin qu’il soit plus attractif et attire beaucoup plus de touristes.

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