Le Mali, le Burkina Faso et le Niger se sont entendus, fin septembre, sur le développement d’un projet spatial avec Moscou. Un accord censé permettre des avancées technologiques, ainsi qu’une meilleure surveillance de la zone. Mais ira-t-on au-delà de l’effet d’annonce ?
N’importe qui ne peut pas s’asseoir à la droite du président de la transition du Mali, le colonel Assimi Goïta. Le 23 septembre dernier, cette place était occupée par Ilya Tarasenko, PDG de l’entreprise de lanceurs de fusées Glavkosmos, filiale de l’agence spatiale russe Roscosmos. Signe de l’influence grandissante de Moscou dans la région, la rencontre a débouché sur la signature d’un mémorandum d’accord entre l’Alliance des États du Sahel (AES) et la firme, vitrine d’un programme spatial à la peine depuis le début de la guerre en Ukraine.
Imagerie spatiale
Le document, valide pour une durée de cinq ans renouvelable, prévoit notamment le lancement d’un « satellite de communication », la « création et le lancement par la partie russe d’une constellation de satellites » d’imagerie spatiale, ainsi qu’un volet de formation. Car si les différents pays concernés disposent de stations au sol utiles à la transmission de la télévision ou des communications, de larges pans de leurs territoires demeurent hors des radars.
Selon le site DataReportal, chargé d’étudier les comportements des internautes à travers le monde, les taux de pénétration d’internet au Mali, au Niger et au Burkina Faso s’élevaient respectivement à 33,1 %, 16,9 % et 19,19 % au début de l’année 2024.
Détecter des mines d’or ou anticiper les phénomènes climatiques
L’annonce de ce partenariat a suscité une « agréable surprise » chez Hamadoun Touré, fondateur de Smart Africa, une alliance de pays africains engagés dans le développement économique du continent à l’aide des nouvelles technologies. Depuis quelques années déjà, cet ancien ministre malien de la Communication et de l’Économie numérique au sein du gouvernement de Moctar Ouane (2020-2021) était l’auteur de mémos poussant au lancement d’un projet spatial.
Le président djiboutien Ismaïl Omar Guelleh, le 13 mars 2023, portant la maquette d’un satellite chinois, dont Djibouti deviendra bientôt une base de lancement. © Vincent FOURNIER pour JA
Au-delà de l’aspect sécuritaire, la surveillance du territoire depuis les étoiles « permettra la détection des mines d’or ou encore l’étude de notre environnement afin de réaliser des projections à l’heure où nos pays sont toujours plus exposés au risque climatique », avance cet ingénieur formé à l’Université d’État des télécommunications de Saint-Pétersbourg.
Des avancées technologiques promises par Roscosmos, qui se hisse dans le top cinq des vendeurs de satellites de télédétection. Aujourd’hui en difficulté en raison de la rupture de sa relation avec l’Agence spatiale européenne et d’autres partenaires, dont les conséquences sont chiffrées à deux milliards d’euros par l’adjoint au directeur général, Andreï Elchaninov, l’entreprise d’État russe se tourne vers l’Afrique.
Quels financements ?
En avril dernier, le directeur de la filiale signataire du mémorandum avec l’AES, Glavkosmos, était ainsi en visite à Luanda, en Angola, pour vanter les opportunités qu’offrent leurs technologies. Quelques mois plus tard, en août, l’Institut de l’aviation de Moscou a invité 18 experts de l’industrie spatiale du continent africain (dont certains venaient du Mali) lors de la première université d’été du genre. « Je dois souligner que l’intérêt pour les services spatiaux des pays africains en développement n’est pas un mythe, c’est assez évident », déclarait alors Yury Borisov, PDG de Roscosmos.
Devant l’ambassade de France à Niamey, le 28 août 2023. © AFP
Si le projet n’en est qu’à ses balbutiements, certains observateurs qualifient ce partenariat « d’effet d’annonce ». « C’est un moyen pour les militaires de détourner le regard des populations vers le ciel plutôt que vers leurs problèmes du quotidien », fustige une source sécuritaire. La question du financement, brièvement évoquée dans le mémorandum, reste en effet un mystère. Mais cela ne suffit pas à doucher l’enthousiasme d’Hamadoun Touré, qui estime le coût d’un satellite entre 50 millions et 100 millions de dollars. « Vous pensez vraiment que les trois pays n’ont pas de quoi réunir l’argent nécessaire ? »